Pacte européen sur les migrations : et pendant ce temps, à Calais...

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Spécialiste de la migration, la chercheuse Sophie Watt a travaillé sur le terrain à Calais avec la photographe franco-suisse Elisa Larvego pour nourrir ses recherches. En janvier 2023, puis l’été suivant, elle s’est rendue dans des camps sauvages du nord de la France pour s’entretenir avec des bénévoles et des exilés afin de mieux comprendre ces zones frontalières très controversées. Toutes sont liées au débat hautement politisé sur l’immigration entre la France et le Royaume-Uni. Premier épisode. (Source : The conversation)

« Un Égyptien français m’a conseillé de ne pas traverser la Manche, de ne pas aller au Royaume-Uni et d’essayer de rester en France… Mais je n’ai pas échappé à la brutalité de la police de mon pays, aux passeurs de Libye, à la traversée de la Méditerranée et à la “jungle” en France pour rien. J’étais déterminé à venir au Royaume-Uni. »

Cette déclaration m’est faite par DM Boss (pseudonyme), un demandeur d’asile égyptien que j’ai rencontré durant mon séjour près de Dunkerque.

En cette matinée de juillet 2023, je suis assise dans la vieille camionnette de Pierre Lascoux, son chien Arthur à mes pieds. Pierre, un bénévole de 60 ans, a consacré les deux dernières années de sa vie à aider les exilés.

Tous les matins depuis quatre semaines, pendant que Lascoux scrute la route amenant vers le camp et répond aux messages de l’équipe de Human Right Observer (HRO) pour vérifier l’éventuelle venue de la police pour démanteler le camp, nous parlons du sort des exilés du camp de Loon Plage, dans la zone industrielle de Dunkerque. Pierre a récemment terminé une grève de la faim de 42 jours afin d’attirer l’attention sur les terribles conditions de vie endurées par la population migrante à la frontière. Selon le gouvernement britannique, au cours de l’année 2023, 37 556 personnes sont arrivées au Royaume-Uni à bord de petites embarcations ayant navigué depuis la côte nord de la France, 44 490 en 2022.

J’ai fait du bénévolat dans les camps de réfugiés français de Dunkerque et de Calais au cours de l’été 2023. Cela faisait partie de mon travail de terrain et de mes recherches sur le concept d’« hospitalité » dans différentes zones frontalières militarisées. J’ai principalement travaillé avec l’organisation caritative Salam qui s’occupe de préparer et distribuer des repas chauds sur le camp de Loon Plage et des petits déjeuners sur les camps de Calais.

Le soir, je retournais sur le camp avec Pierre Lascoux et sa collègue Pascaline Delaby pour distribuer des couvertures, des vêtements et des tentes. Salam travaille en liaison avec de nombreuses autres organisations civiles présentes sur le terrain. Malgré les pressions policières excercées quotidiennement, ce tissu associatif arrive tant bien que mal à maintenir des contacts bienveillants envers les exilés et de ce que j’ai pu observer c’est le seul lien humain sur lequel ils peuvent vraiment compter.

Durant l’été 2023, le nombre de personnes sur le camp de Loon Plage a fluctué entre 300 et 2000 selon les conditions météo et les départs, et entre 1000 et 1500 sur les différents camps de Calais. Le dispositif policier est composée de quatre compagnies de CRS, la Police au Frontières (PAF), la Brigade anti-criminalité (BAC), la police municipale en charge des expulsions, la gendarmerie nationale et parfois même la Brigade de Recherche et d’intervention (BRI) principalement à Loon Plage.

Pendant que j’étais dans les camps, j’ai été témoin de violences policières et j’ai vu des exilés s’entasser sur un bateau qui n’était manifestement pas assez grand pour les accueillir. J’ai entendu des coups de feu et j’ai été en rapport avec des individus appartenant à l’organisation mafieuse en charge des passages. J’ai entendu de nombreux témoignages de personnes qui avaient vécu l’enfer dans leur propre pays et au cours de leur voyage vers la France. Malgré les difficultés et les souffrances subies, une chose semblait unir ces exilés : ils voulaient trouver refuge au Royaume-Uni.

Et ce n’est pas la politique des prisons flottantes et des vols de retour vers le Rwanda, à la une des journaux, qui va les arrêter. Arrivés jusqu’ici, ils étaient déterminés à aller jusqu’au bout de leur exil.

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